Pourquoi dans cette guerre mécanisée à outrance, cette débauche de matériels de guerre, au milieu du XX° siècle, la présence sur le champ de bataille d’un piper (sonneur de cornemuse) est-elle si singulière, voire incongrue ? Et qui était cet homme ? Qu’a-t-il fait exactement et quelles en ont été les conséquences ?
Un homme
L’héritage des Highlands
Les parents de Bill sont tous deux nés à Inverness (“Embouchure de la Ness” en gaëlique, dont tout le monde connaît le Loch et son hôte), capitale auto-proclamée des Highlands.
Dans les deux familles, on retrouve les gênes des highlanders, courage, fierté, attachement au Chef.
Le grand-père paternel de Bill, Vincent, combattit les Zoulous en 1879 avec les Cameron Highlanders.
Son père, John Millin, combattit dans le même régiment durant la Grande Guerre, en Belgique et en France (Somme et Nord). Le frère de celui-ci tomba, servant au Canada Cameron Highlander.
De ses oncles maternels, servant également au Cameron Highlanders, l’un fut tué et l’autre blessé en Afrique du Sud (Guerre des Boers).
Naissance et petite enfance de Bill
A l’instar de nombreuses familles d’Ecosse, les parents de Bill émigrèrent au Canada ou se trouvait déjà une partie de leurs cousins.
John, vétéran de guerre, fut engagé par la RCMP, Royal Canadian Mounted Police, et s’établit à Regina, province du Saskatchewan, siège de l’Institution.
Bien qu’expatriée, les liens culturels de la famille avec l’Ecosse demeurèrent très vifs, une forte communauté écossaise se rassemblait très régulièrement pour partager la langue, les chants, musiques et danses, ainsi qu’une grande entraide.
C’est ainsi et là que naquit le 14 juillet 1922, William (dont le diminutif est “Bill”) Millin, faisant la joie de ses parents et de ses frère et sœur, Jim et Olive.
Du plus loin que remontent se souvenirs, Bill est baigné de cette culture des Highlands et dès lors, à l’instar de ses parents nostalgiques, rêve du retour à la terre natale des ancêtres.
L’occasion se présentera en 1930 lorsqu’on proposa à John la direction d’une usine à Glasgow, probablement grâce au réseau d’amitiés fraternelles des vétérans.
Bill dira que cet apprentissage fut “rude”, l’apprentissage de la cornemuse demandant une persévérance sans faille. Il fallut travailler six années, avant que Bill ne se produise lors d’une exposition à Glasgow (touchant un faramineux cachet équivalent à 15 centimes d’euros de nos jours…)
La guerre de conquête des allemands a défait les polonais, les tchèques, les belges, et enfin les français.
Après l’évacuation de troupes anglaises et françaises de Dunkerque, il ne reste plus que la Grande Bretagne et son immense empire pour éviter le pire pour de très longues et sombres années. Une bataille cruciale s’engage dans les airs, la Bataille d’Angleterre. Elle s’avère lourde en pertes humaines et matérielles. Tout le peuple est mis à contribution pour tenter de remplacer au plus vite les avions détruits et les pilotes tombés.
Le premier concert de pipe-band militaire auquel participera Bill date de cette période et a pour but de recueillir des fonds pour financer un Spitfire. Cette bonne action sera récompensée 43 ans plus tard par le survol de la statue de Bill à la seconde “S” de son inauguration, d’un Spitfire venu depuis un terrain proche de Nottingham !
le General Brigadier Simon Christopher Joseph Fraser dit Lord Lovat.
Un homme remarque Bill lors d’une prestation de cornemuse. Pas n’importe qui.
Il s’agit du commandant d'une formation récemment crée au sein de l’armée britannique, les Commandos, le General Brigadier Simon Christopher Joseph Fraser dit Lord Lovat. Il se renseigne sur Bill et ce qui l’intéresse, entre autres, c’est que le clan Millin, est historiquement rattaché au clan Cameron of Lochiel, et donc allié depuis des générations avec le clan Fraser.
Et tout au long de l’histoire tourmentée des Highlands, les Millin ont répondu aux sollicitations des chefs de clans pour aller au combat.
Comme on dirait aujourd’hui, Bill coche toutes les cases pour officier comme piper auprès du 15° Chef du clan Fraser de Lovat, “Mac Shimidh” en gaëlique .
Willam Millin , dit Bill Millin.
Bill est aux anges quand Lord Lovat lui propose de devenir son piper personnel dans cette unité.
Il suit tout d’abord la formation très sélective, forme physique, aptitude à la survie, sens de l'orientation, le combat au corps à corps, à tuer silencieusement, aux transmissions, à l'assaut de rochers et à utiliser des engins amphibies, des véhicules, des armes (y compris l'utilisation des petites armes capturées à l'ennemi et explosifs) et à la destruction.
Il poursuit une spécialisation d’Instructeur de tir au fusil, incorporé au 4 Commando (plusieurs remaniements parmi les commandos ont conduit à amalgamer les effectifs) tout en répondant à toutes les sollicitations comme soliste ou avec le pipe-band.
Il faut bien sûr lire toute la littérature produite par ceux qui ont vécu cette époque, en premier lieu l’ouvrage de Bill lui-même, “Invasion” “La cornemuse du D Day” en français aux éditions Heimdal ) mais également des commandos français, pour comprendre l'entrainement intensif des soldats en Grande-Bretagne. (voir bibliographie).
Ainsi, à force d’entraînements, de raids, de répétitions des conditions de débarquement et de mises en situation, beaucoup d’expérience a été acquises par les commandos pour le Grand Jour.
Ainsi, début juin 1944, Bill Millin, le petit des Highlands se prépare à débarquer sur les côtes normandes pour libérer l'Europe de la domination nazie.
Les 177 commandos français
On vous propose d'écouter cette émission de France Culture "Les 177 visages du Commando Kieffer, ces héros français qui ont débarqué le 6 juin 1944"...
WW2 commandos
Regardez cette extrait de The Story of the Green Beret sur les commandos britanniques https://www.youtube.com/watch?v=-P1ZwILM0Og
- Il faut évidemment lire ce qu'il en a écrit dans son ouvrage « Invasion », « La cornemuse du D Day » en français (éditions Heimdal).
Il est tout aussi intéressant de voir et d'écouter ce qu'il en a dit lors de reportages effectués notamment à l'occasion de sa présence sur les lieux de commémoration de Sword Beach.
Nous l'avons également longuement interrogé sur son ressenti lors de chaque phase de ces journées de préparation au Jour J et des événements survenus à partir de là.
Des commandos utilisent des couteaux de combats lors d'exercice de combat rapproché à Achnacarry, en Ecosse, le 9 janvier 1943.
Sur la préparation physique et mentale
« Nous étions tous préparés, tant physiquement que mentalement aux éventualités des combats à mener dès notre arrivée sur le sol français.»
L'entraînement physique individuel était poussé à l'extrême chez les commandos . A Achnacarry , dans tous les domaines, les candidats étaient poussés à leur limite d'endurance et l'entraînement consistait à la connaître pour la dépasser. Les exercices, épuisants étaient répétés encore et encore jusqu'à ce que chaque phase devienne un automatisme, la seule pensée devenant « avancer pour accomplir la mission quelle qu'elle soit ». Le fait que les tirs et les explosions durant les exercices se faisaient avec des munitions réelles, habituait chaque homme à cet environnement.
La cohésion était indispensable pour parvenir à l'accomplissement de la mission. Que ce soit les exercices de montagnes , d'escalade,de combat en forêt, débarquement sur une côte, la prise d'une position forte avec des sentinelles à neutraliser, chaque détail était répété à l'envie.
- A l'image de notre pipe-band le CBTC Pipes and Drums, où nous jouions exactement la même note au même moment, marchant du même pas (sourire).
Cela créait un esprit de camaraderie et d'appartenance à un même corps très développé. Nous avons reçu des américains, des canadiens, des polonais, des hollandais, des indiens, des allemands (combattant les nazis bien sûr ! ) des français, en fait des représentants de toutes les nations alliées ». Et ce dans tous les domaines nécessaires à la bonne marche d'une troupe, génie, transmissions, combat, santé, et pour toutes les armes disponibles. Porter son béret vert vous démarquait de la grande masse des soldats.
Le pub " Rising Sun"
Le fameux champ " Strawberry Field" où Bill Millin joua de nombreuses fois pour ses camarades.
Les derniers moments en Angleterre
Bill quitte l'Ecosse après une courte permission pour dire au revoir à ses parents à Glasgow, direction Londres puis une correspondance pour Midhurst (Sussex). Son arrivée en kilt et cornemuse sous le bras semble incongrue pour le Sergent-Major qui lui demande s'il est venu participer à des Highlands Games ! Il est aussitôt intégré comme piper personnel du Brigadier General Lovat .
Quelques jours plus tard la 1st Special Service Brigade arrive à une zône de regroupement à Tichefield près de Southampton , puis quelques jours plus tard la zône d'embarquement dans un lieu que Bill connaît bien à Warsa sh au bord de la rivière Hamble.
De la photo qui représente Bill jouant pour ses camarades dans une prairie, Bill nous dira qu'il s'agissait d'un champ appelée « Strawberry field », transformé en terrain de foot, à quelques pas d'un pub, « The Rising Sun ». Avec tristesse il commentera « Aucun des gars sur cette photo n'est revenu de la Campagne de Normandie ».
Là encore il faut lire le récit de Bill lui-même ainsi que ceux des autres commandos ayant témoigné de la traversée de la Manche au travers d'une mer très mouvementée qui en a rendu beaucoup bien malades.
Peut-on imaginer l'accumulation de fatigue, de stress et en même temps d'enthousiasme, ce mélange d'angoisse et de détermination avec cette question suspendue tout au long « vais-je survivre à ce qui nous attend ? ».
Bill sachant le moment de débarquer arrivé, a revêtu le kilt au tartan Cameron of Lochiel que portait son père lors de la Grande Guerre. Son « rucksac » sac à dos des commandos contient des munitions de mortier, bandes de mitrailleuse, chargeurs de pistolets-mitrailleurs, et bien sûr son pantalon d'uniforme.
De tous les navires des salves de canons sifflent au-dessus des commandos. Les hommes sont près à gicler de leurs LCI. L'artillerie allemande fait à son tour feu de toutes ses pièces, touchant certaines péniches de plein fouet.
Les rampes s'abaissent. L'adrénaline est a son maximum , les consignes autant que l'effet tunnel mental sont de sortir et de franchir cette distance qui sépare les hommes du bout de la plage.
Célèbre photo où l'on aperçoit Bill Millin en trains de débarquer sur Sword Beach.
Nous lui avons demandé comment il a pu joué un air de musique dans ce chaudron de l'enfer. Il a répondu : « Mais qu'est-ce-que-tu crois ? Et montrant sa main valide prise d'un grand tremblement, « j'étais comme ça ! » . La peur ? L'adrénaline pure qui lui a permis de tout enregistrer dans le marbre de sa mémoire de cette journée.
Débarquement des forces britanniques sur Sword Beach le 6 juin 1944
En même temps Bill, rappelons-le, âgé de pas même 21 ans, Bill est en danger de mort éminente et voit ses camarades tomber, et il remplit sa mission, encourager les vivants par sa musique à aller de l'avant pour remplir à leur tour leur mission de vaincre un ennemi pour le moment invisible.
A bien des égards ce moment prend une dimension mystique, rejoignant la légende vivante des « pipers over the top » de la Grande Guerre, ces pipers qui franchissaient le parapet des tranchées pour encourager de la même façon leur camarades à monter à l'assaut, alors que leur espérance moyenne de vie était inférieure à une minute.
Malgré cela, il retrouve Lord Lovat pour lui proposer de continuer à sonner de la cornemuse pour les gars qui débarquent par vagues de leurs LCI, et de façon incroyable, d'arpenter la plage pour ce faire, ce que le « patron » accepte volontiers.
De l'inconscience ? Bill croit en son destin, aspect qui sera développé dans le cadre de notre page « Une légende »
- Aussitôt débarqués les premiers, les français de Kieffer se dirigent vers Riva Bella et Ouistreham, leur objectif, avant de faire la jonction sur les ponts de l'Orne à Bénouville et Ranville.
- Les britanniques eux foncent tout droit en direction du village de Colleville pour, passant par Saint Aubin d'Arquenay, atteindre le canal de l'Orne et relever les troupes du Major Howard.
L' « histoire » des ponts de Bénouville et Ranville
Les réalisateurs américains du film « The longest Day » (titre tiré de la phrase de Rommel en charge du système de défenses de l'Atlantic Wall, assurant que le jour où le Débarquement des Alliés aurat lieu serait « Le jour le plus long ») ont pris beaucoup de libertés avec les faits survenus.
Ils ont fait franchir le pont du canal par un piper de 45 ans, Victor de Laspee, sonnant « Highland laddie » alors que Lovat demande « Blue bonnets o'er the borders » ….. La réalité est toute autre.
Ce pont historique appelé « Pegasus Bridge » est maintenant dans l'enceinte du Pegasus Memorial . (voir le site du Mémorial : https://musee.memorial-pegasus.com/fr/ )
Il a été pris dans la nuit du 5 au 6 juin par les forces britannique larguées dans la nuit.
La mission des bérets rouges : » La mission de la 6ème Division aéroportée devait s’effectuer selon trois objectifs :
– La prise intacte des ponts sur le canal de Caen à Bénouville et sur l’Orne à Ranville, afin de permettre la traversée de renforts alliés venant des plages.
– La prise de la batterie de Merville avec destruction de ses canons pour empêcher les tirs en direction de la plage Sword sur Ouistreham et en direction de la flotte alliée au large.
– La prise de position sur les hauteurs à l’Est de l’Orne et destruction des ponts sur la Dives « (tiré du site précité).
Comment faire, en l'absence d'artillerie et de blindés du côté des Alliés ?
Il faut lire le livre de Werner Kortenhaus, Radio au QG de la 21° Panzer Division et entendre le récit des vétérans des deux côtés du pont pour comprendre exactement dans quelles circonstances ce pont a été franchi avec succés.
C'est un concours de circonstances qui peut faire dire qu'il faut de l'audace et de la chance pour que celle-ci sourit. En effet, la 21st Panzer était en alerte et attendait les instructions pour repousser les troupes qui s'étaient emparées du premier pont et étaient en mesure de la faire. « Pourquoi cet ordre n'est jamais arrivé ? » s'interroge Werner.
La « baraka » du tandem Lovat-Millin se poursuit avec la décision, audacieuse « On balance un maximum de fumigènes et on avance sur le pont, au son de la cornemuse, Millin en tête ». Ce qui fut exécuté sur le champ.
Les allemands dont le moral est maintenant bien bas ne voient pas ce qui se passe sur le pont, mais entendent une cornemuse écossaise ! Sidérés, ils imaginent que c'est toute une armée qui vient sur eux avec tant d'audace !
En bons soldats, ils effectuent alors un repli stratégique pour rejoindre la ligne de défense établie en retrait. Le pont est pris !
Il est savoureux d'entendre Bill raconter lui -même cet épisode sur les lieux mêmes des faits, après avoir rencontrer l'officier qui commandait les troupes allemandes.
La Ferme Saulnier à Amfreville surnommé aujourd'hui "la Ferme des commandos".
La ferme Saulnier
Le livre de Bill est dédicacé à « À Octave Saulnier qui nous a témoigné tant de gentillesse et de compréhension pendant les combats aux alentours d’Amfreville, et à son fils, Bernard. Pour sa généreuse hospitalité envers tous les anciens combattants qui reviennent en visite dans la région. »
Les britanniques et les français de Kieffer ont assidûment fréquenté la ferme Saulnier dont l'accueil et le dévouement durant la campagne de Normandie et ensuite aux anciens ont été extraordinaires . Le mieux est de les lire, les écouter, et visionner les vidéos disponibles.
Témoignage brian guy – Royal Engineers
Brian Guy témoigne de son débarquement en évoquant notamment le son des cornemuses sur Sword Beach.
Bill Millin et le Jour Le Plus Long
Bill Millin a été immortalisé par le film The Longest Day (en français Le Jour le plus long) de 1962. Mais la réalité historique est tout autre… (vidéo)